Le dernier enfant by Philippe Besson

Le dernier enfant by Philippe Besson

Auteur:Philippe Besson [Besson, Philippe]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Julliard
Publié: 2021-01-07T07:04:08+00:00


5

Le retour

* * *

* * *

Ils se tiennent tous les trois sur le trottoir, devant la voiture, comme engourdis, empruntés. La rue est étrangement calme, mais le calme est-il si étrange un dimanche après-midi, une bourrasque s’y engouffre qui fait s’envoler un papier journal, le traînant sur quelques mètres avant qu’il ne retombe sur le goudron. Ils savent qu’ils n’ont plus de raison de rester, de rester ensemble : l’emménagement est fait, Théo doit encore ranger quelques affaires, bien entendu, mettre un peu d’ordre, et tout simplement prendre ses marques dans son studio mais c’est lui seul qui s’en chargera, le déjeuner est terminé, il était plutôt bon malgré les réticences suscitées par le décor, ils ont pris leur temps, réglé l’addition, Patrick en a profité pour glisser un billet de cinquante euros dans la main de son fils qui a d’abord refusé, pour le principe, avant d’accepter, cinquante euros on en a toujours besoin, et tant pis pour la menue vulgarité du geste, ils ont laissé le restaurant derrière eux, à l’approche du Kangoo Patrick a sorti la clé de sa poche, activé l’ouverture automatique des portes, puis inspecté brièvement la carrosserie pour vérifier qu’aucun plaisantin ne l’a rayée ou enfoncée, dans cette ville on ne sait jamais, les gens ne sont pas tous respectueux ou ils conduisent n’importe comment, il est rassuré, le véhicule est intact, désormais les parents peuvent rentrer et le fils regagner son appartement, c’est l’heure.

Anne-Marie savait que ce moment arriverait, elle s’y était préparée mais elle n’était jamais parvenue à l’imaginer, ce n’était jamais concret, circonstancié, tangible, ça restait une idée, l’idée de la séparation, presque une théorie, ça n’avait pas de réalité, et maintenant ça arrive, il y a un endroit, une heure, une couleur de ciel, un parfum, celui abandonné par des pots d’échappement, celui persistant du goudron, et ça se présente comme une dislocation.

Patrick a conscience qu’il faut l’écourter, ce satané moment, à quoi servirait de faire durer le supplice, il prend donc les choses en main : « Bon, il commence à faire frisquet et puis on a un peu de route, mine de rien. » Personne n’est dupe, il ne fait pas si froid et rentrer à la maison ne prendra qu’une grosse demi-heure mais chacun a bien saisi le sens de ce soudain empressement. Anne-Marie, même si elle répugne à ce qui s’annonce et serait encline à dénicher tous les subterfuges pour retarder l’échéance, reconnaît, en son for intérieur, que son mari a raison : deux ou trois minutes supplémentaires ne changeront rien à l’affaire, mieux vaut trancher dans le vif. Elle s’approche alors en silence de Théo et le serre contre elle dans un mélange de fermeté et de maladresse. Lui, en retour, se laisse faire. Mieux, par réflexe, à moins que ce ne soit pour témoigner de l’affection, une gratitude peut-être, il enlace sa mère à son tour.

Il y a ça, d’un coup, dans un été qui s’en va, dans une rue déserte, sur un trottoir balayé par le vent, une mère et son fils, arrimés l’un à l’autre.



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